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Ronan Dantec : « La conférence sur le climat de Paris ouvre la voie à un monde mieux régulé, engouffrons-nous dedans et arrêtons de déprimer ! »

Article de Irène Inchauspé et Raphaël Proust pour l'opinion.fr

A moins de deux mois de la Conférence des Nations AUnies sur le climat, à Paris, le sénateur EELV Ronan Dantec, qui prendra part aux négociations, appelle à ne pas sombrer dans le «climato-fatalisme et à apprécier les avancées historiques des négociations internationales dans la lutte contre les changements climatiques.

Etes-vous optimiste sur la COP21 ?

Oui, car la négociation a beaucoup évolué depuis vingt ans ! Il ne faut pas seconten- ter d’un discours facile sur des chefs d’Etat qui se réunissent pour rien, mais se replacer dans une perspective historique. L’accord sur le protocole de Kyoto répondait à une lecture du monde où il n’y avait plus qu’un groupe dominant, celui des Etats-Unis et de l’Europe. Le bloc soviétique s’était effondré et la Chine était très discrète après la répression des manifestants de la Place Tiananmen. Cette période a permis de passer des accords ambitieux, notamment grâce à la volonté des Européens et sans que les Américains s’y opposent. C’est l’époque du sommet de Rio de Janeiro en 1992 et du protocole de Kyoto de 1997. La fin des années 1990 est en revanche marquée par des moments de crispation et la montée en puissance des pays émergents. C’était clair au sommet de Johannesburg en 2002. Les conser- vateurs reprennent le pouvoir aux Etats-Unis,ce qui inaugure une décennie de blocages. La conférence de Copenhague de 2009 est la fin d’un monde binaire marqué par la divi- sion Nord-Sud. La Chine est ainsi devenue le premier émetteur de gaz à effet de serre, bien qu’elle perpétue l’opposition entre pays riches et pauvres et continue à considérer que c’est aux Etats développés de faire des efforts.

Pourquoi Copenhague a-t-il été un échec ?

C’est lié au fait que les Chinois, avec le sou- tien des autres pays émergents, se sont battus pour essayer de reculer les échéances, ce que les autres Etats ont refusé. Le cycle de négociations qui commence après ce sommet est marqué par l’attitude des pays africains qui imposent une autre approche, impliquant un nouveau cycle de négociations qui se conclut à Paris. L’idée est que tout le monde doit fournir une part de l’effort, et comme les Etats sont incapables de discuter précisément de sa répartition, les contributions volontaires où chaque Etat fixe lui-même l’effort qu’il estime pouvoir faire permettent de contourner cette négociation impossible. Chaque Etat évalue donc quelle est sa responsabilité et sa position par rapport au principe de «responsabilité commune mais différenciée ». L’approche his- torique est plus intéressante que de dire que nous en sommes au même point qu’en 2009, sans réfléchir à ces trois moments qu’ont été la période d’écroulement du bloc soviétique avec des démocrates au pouvoir aux Etats- Unis, les années de blocage et l’affirmation des émergents, puis la naissance d’un monde où tout le monde reconnaît la gravité du risque climatique et cherche à trouver un moyen de répartir l’effort.

Certaines contributions volontaires ne semblent pas à la hauteur des enjeux...

C’est vrai, la Turquie est l’un des Etats problématiques. Un pays déjà développé qui dit assumer augmenter par deux ses émissions de gaz à effet de serre, ce n’est pas possible ! Les contributions du Canada, du Japon et de l’Australie sont très faibles ; l’Arabie saoudite n’a pas encore communiqué la sienne. Il y a donc des pays dits du Nord et émergents qui posent problème. Mais la Chine et le Brésil ont mis sur la table des propositions intéressantes qui permettraient de limiter le réchauffement à 2,7 °C. Ça n’a plus rien à voir avec 5 °C ! Et comme il faut aller vers 2 °C, cela veut dire que les contributions actuelles représentent entre deux tiers et trois quarts de l’effort – ce qui est considérable –et ce de manière purement volontaire. Notre responsabilité est maintenant de faire en sorte que ces propositions se réalisent avant de chercher à aller plus loin, et une fois ces dynamiques engagées, on pourra rehausser l’ambition pour être dans une trajectoire de maintien de la hausse des températures en deçà de 2°C.

Comment s’assurer que les engagements des Etats seront respectés ?

Il faut d’abord que la capacité d’action soit renforcée. Le texte qui est sur la table est intéressant parce que, pour la première fois, il va assez loin dans l’association de l’ensemble des acteurs concrets (collectivités territoriales, entreprises, ONG...), y compris une mesure dont je ne sais pas si elle survivra : créer des coalitions Etats-acteurs non étatiques sur certaines actions pour la période 2015-2020. C’est très nouveau ! Ce sont de vraies avancées, qui restent fragiles parce que cette proposition doit encore être discutée à Bonn le 19octobre.

Les négociations ne risquent-elles pas d’achopper sur le financement ?

Là aussi, il ne faut pas que se focaliser sur la COP21.J’ai été très surpris que, dans l’appel de Nicolas Hulot, il n’y ait pas de référence aux objectifs de développement durable (ODD) adoptés à New York. C’est une feuille de route concrète pour atteindre les objectifs précis sur le climat ; ils ont été accueillis avec un cer- tain enthousiasme. Les parties ont réussi à se mettre d’accord sur 17 ODD qui s’imposent à tous les Etats. Cette feuille de route va s’impo- ser par la suite aux organismes internationaux et aux agences des Nations Unies, la Banque mondiale va devoir aussi s’en saisir. Quand on voit les flux financiers qui sont sur la table (3 000 milliards par an d’investissements en infrastructures dans le monde), cela veut dire que le premier enjeu n’est pas tant de trouver 100 milliards d’euros de plus d’argent public, mais de savoir si on arrête les investissements non durables et si on réoriente ces 3 000 milliards qui génèrent des gaz à effet de serre quand ils financent des autoroutes ou des cen- trales à charbon.

La COP21 serait-elle un échec sans la signature d’un accord contraignant ?

L’enjeu, c’est le caractère crédible de cet accord plus que son aspect contraignant. Le seul enjeu de la négociation, c’est que tous ceux qui sont en capacité d’agir pour réduire les émissions de gaz à effet de serre se disent après la COP21 :« On y va, ce scénario est crédible ! » Beaucoup d’acteurs que je rencontre, en Colombie, au Kenya ou à Abu Dhabi, sont déjà dans l’anticipation des actions à mener après la conférence de Paris.

N’est-il pas temps de fixer un prix mondial du carbone comme le suggère Jean Tirole ?

Je suis d’accord avec lui sur le fond, mais je trouve qu’il a une approche ahistorique. Il ne veut pas voir d’où vient la négociation, où en était le multilatéralisme il y a quinze ans. Il n’est pas possible de dire qu’il faut que la COP21 arrive à un accord sur un sujet qui n’est même pas sur la table des négociations. C'est artificiel ! Demander à François Hollande de débarquer en disant : «Voilà quel sera le prix du carbone pour le monde entier », cela n’a pas de sens. Mais cette question sera, j’en suis convaincu, au cœur du cycle de négociations suivant, qui débutera aussitôt après Paris.

N’a-t-on pas tendance à trop dramatiser les effets du changement climatique ?

Le monde du XXI e siècle ne survivra pas à la crise climatique. La question, c’est de savoir si on investit dans des entreprises de fabrication de panneaux solaires ou de fabrication de barbelés. Les pays ne feront pas les deux à la fois. Si nous ne tenons pas les objectifs de développement et de lutte contre le réchauffement climatique, ils se replieront, verront les migrants comme une menace dont il faut se protéger. La COP21 ouvre la voie pour un monde mieux régulé, engouffrons- nous et arrêtons de déprimer. La bataille clé est aujourd’hui sur le climato-fatalisme : certains disent que la situation est grave mais que l’on ne peut rien faire. C’est faux et dangereux car le pire serait de démobiliser tous ceux qui sont en capacité d'agir.

Où peuvent-ils agir ?

Je vous donne un exemple. A Lyon, début juillet, s’est tenu le Sommet mondial Climat et Territoires auquel ont participé 1 400 personnes issues de 73 pays. Ils représentaient à la fois des Etats fédérés, des régions et collectivités locales,des ONG,des entreprises, la société civile organisée. Nous sommes arrivés à une déclaration la plus largement signée à ce jour par des acteurs non étatiques dans le cadre de négociations internationales! Avec des engagements forts sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre sur leurs territoires, avec des propositions précises sur les grands thèmes de la négociation climat : économie, adaptation, financement. On avance à côté des négociations onusiennes pour les renforcer.Nous disons aux Etats :«Trouvez l’accord, nous ferons le boulot ! »