Intervention au Sénat lors du débat préalable au Conseil européen des 14 et 15 mars

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Sans ignorer l'importance du premier point au programme du Conseil européen de cette semaine, je centrerai mon propos sur le second item figurant au projet d'ordre du jour, qui porte sur les relations extérieures de l'Union. Il sera en effet l'occasion de procéder « à un échange de vues ouvert sur les relations avec les partenaires stratégiques », étant entendu que le Conseil européen « ne devrait pas adopter de conclusions écrites sur ce sujet ».

Cette formulation n'a rien d'original, elle est même assez habituelle pour les conseils européens : Cependant le contexte actuel n'est pas anodin, en particulier s'agissant des « partenaires stratégiques » de l'Europe, entendus au sens économique.

Je pense notamment à l'annonce faite récemment par le Président Obama : le lancement prochain de négociations visant à instaurer un accord de libre échange qui engloberait les deux rives de l'océan Atlantique, Union européenne et Etats-Unis. Ce serait le plus important accord de ce type jamais conclu dans le monde. Il concernerait le tiers du commerce international et la moitié de la production économique globale. Autant dire que son rôle de régulation et son impact sur l'économie mondiale serait essentiel.

Il est certes de coutume d'évoquer ces sujets dans le cadre de discussions sur les questions commerciales, autant sinon plus que durant un point sur les affaires extérieures. Mais il paraît difficile de ne pas prêter une dimension stratégique globale à ce nouveau partenariat éventuel avec les Etats-Unis.

Que savons-nous, à cette heure, du dialogue qui s'ouvre ?

D'abord, qu'il devrait débuter formellement cet été. En effet c'est le Conseil du mois de juin qui devrait donner à la Commission européenne le mandat par lequel elle mènera les négociations. D'où aussi l'intérêt des discussions informelles qui s'amorcent.

Ensuite, si l'on en croit les précédents et notamment la recherche d'un accord du même type avec le Canada, nous pouvons craindre que ce dialogue ne brille pas par sa transparence.

Enfin, que les sujets abordés seront loin d'être consensuels.

En l'occurrence, cet accord de libre échange ne devrait pas diminuer drastiquement les droits de douane. Ils sont déjà faibles. On parle de taux moyens situés aux alentours de 3.5% pour les importations depuis l'Europe vers les Etats-Unis et de 5.2% en sens inverse. On peut toutefois remarquer qu'en les restreignant encore on affaiblira d'autant le budget de l'Union : les droits de douane, déjà presque marginaux suite à d'autres accords similaires, en représentent 15% environ aujourd'hui. Il faudra bien voir comment compenser cette diminution si nous voulons tjs donner une certaine ambition au budget européen.

Mais c'est dans le domaine de la réglementation sanitaire, sociale ou environnementale que cet accord pourrait avoir le plus d'impact. Et ses conséquences pourraient bien s'avérer négatives pour les citoyens et les consommateurs européens !

Les Etats-Unis et l'Europe, nous le savons, ont une conception de la protection des données personnelles qui diffère radicalement, ce qui pose déjà problème avec des géants comme Google ou Facebook, - la presse s'en est fait l'écho récemment - dont le modèle économique repose sur la commercialisation de ces données.

Les Etats-Unis et l'Europe ont aussi une vision totalement différente des modes de production alimentaire et du principe de précaution. La Politique agricole commune est déjà problématique sur un certain nombre de sujets. Mais on parle ici de la possible importation d'OGM, de volaille traitée au chlore ou de porcs soignés à fortes doses d'antibiotiques. Les élus et le lobby agroalimentaire américains ont d'ores et déjà écrit à l'administration Obama pour réclamer que ces points précis soient compris dans les négociations. Or ce serait pour nous une évolution totalement inacceptable, dont l'éventualité même paraît absurde aujourd'hui, alors que nous nous trouvons au milieu de scandales sanitaires à l'ampleur non négligeable ! Vous trouverez sur ce point à l'échelle européenne des écologistes particulièrement attentifs et mobilisés pour la défense de l'environnement et de la santé des consommateurs.

Au vu de ces enjeux, le débat se devra d'être transparent et d'associer les instances législatives et la société civile.

Les écologistes ne sont pas opposés a priori à l'idée d'accords commerciaux. Mais cette idée ne doit pas conduire à un nivellement par le bas de règles dont le seul but est de protéger la santé, la vie privée ou le bien-être des Européens. Des rapprochements entre législations sont évidemment possibles. Toutefois, un accord avec les Etats-Unis aussi étendu ne serait pertinent que dans la mesure où il instaurerait un terrain d'entente minimal qui serait déjà un mieux disant par rapport aux pratiques actuellement en vigueur dans le monde, sur toutes ces questions, mais aussi encore plus globalement sur les questions climatiques ou de préservation des ressources. Il serait alors bien plus aisé d'influencer ces dernières, compte tenu du poids qu'aurait un tel marché par rapport aux autres acteurs économiques.
C'est véritablement dans ce cadre que nous devons appréhender l'ouverture de cette négociation.
Après les annonces de l'administration Obama su la nécessité de répondre au défi du changement climatique, engagement confirmé par la nomination de John Kerry, avec en perspective la fin du cycle de négociation climatique entamé à Durban, qui se finiront à Paris en 2015, nous devons plus que jamais lier négociations commerciale et climatique pour un accord de régulation globale, vital pour l'avenir de nos sociétés. Le calendrier de l'administration Obama est pour une fois cohérent, ou tout au moins compatible avec ces échéances. C'est une chance à ne pas laisser passer. Le volontarisme européen sur le climat ne doit pas être limité aux discours de façade. Il doit s'insérer dans une logique cohérente de toute la diplomatie européenne. Les négociations commerciales bilatérales en font partie, que ce soit avec les Etats-Unis ou avec la Chine, car soyons lucides, l'aggravation des crises environnementales, qui se déclinent en crises alimentaires et sociales conduira sans nul doute au repli et à la fin du libre-échange.

Ceux qui pensent que la dynamique d'échanges économiques à l'échelle mondiale est globalement bénéfique doivent donc intégrer urgemment dans leurs logiciels de pensée les enjeux environnementaux, s'ils ne veulent pas demain assister impuissants aux replis nationaux dans un monde en souffrance.

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