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 "N'est-il pas temps de nommer un médiateur ?" (Propos recueillis par Grégoire Allix)

L'écologiste Ronan Dantec est le vice-président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire au Sénat, où il a été élu en 2011.

Il connaît parfaitement le dossier de Notre-Dame-des-Landes et son principal défenseur, Jean-Marc Ayrault : Ronan Dantec a été, pendant dix ans (de 2001 à 2011), adjoint à l'environnement de l'actuel premier ministre lorsqu'il était maire de Nantes.

Que reprochez-vous au projet de Notre-Dame-des-Landes ?

Le problème principal, c'est que le débat démocratique n'est pas respecté. C'est très important pour comprendre l'ampleur de l'opposition. Depuis le début, les motivations réelles qui sous-tendent la création de cet aéroport ne sont pas mises sur la table.

Jean-Marc Ayrault a soutenu ce projet pour une raison principale : la crainte que les nuisances sonores empêchent l'urbanisation de l'île de Nantes. Le problème, c'est qu'au lieu d'expliquer l'enjeu d'urbanisme le projet a été vendu avec pour argument la saturation de l'aéroport existant. Or l'enquête publique a démenti cette hypothèse. Mettre en avant de mauvaises raisons a conduit à convaincre dès l'origine les opposants que ce projet n'avait pas de justification !

Aucun argument ne justifierait cet aéroport ?

Le motif avancé a de fait été rendu encore plus fragile par la stagnation du transport aérien. Mais l'argument du bruit est lui aussi tombé : le plan d'exposition au bruit était fondé sur une hausse du trafic qui ne s'est pas produite. D'ailleurs, l'île de Nantes est aujourd'hui largement urbanisée.

Les porteurs du projet ont toujours refusé d'expertiser les contre-propositions des associations. J'ai le sentiment d'une machine qui, une fois mise en route, ne s'arrête plus parce que personne ne veut revenir en arrière. Aujourd'hui, l'argument de la chambre de commerce et d'industrie, c'est que les travaux vont être bons pour l'industrie locale, pas pour le désenclavement aérien !

L'aéroport n'apporterait pas d'avantage économique à la métropole nantaise ?

Lors de l'enquête coût-bénéfice sur le projet, l'Etat a manipulé les chiffres. Au moment de calculer la valorisation en euros des gains de temps permis par le nouvel aéroport, les sommes ont été au moins doublées. Sans cela, l'enquête coût-bénéfice aurait été négative. Cela a été fait sous la responsabilité du préfet de l'époque, Bernard Hagelsteen, aujourd'hui conseiller chez Vinci... Cela contribue à l'extrême fragilité de la légitimité démocratique de ce projet.

Comment peut-on sortir de cette situation ?

Nous avons l'opportunité de nous remettre autour de la table et de redonner à la décision finale la légitimité du débat démocratique, alors qu'on assiste à une montée vers l'affrontement. Dans son rapport rendu en octobre, la commission d'enquête sur l'eau estime que Vinci n'a pas démontré sa capacité à mettre en place des mesures de compensation écologique et émet des réserves importantes. C'est un moratoire de fait.

Utilisons le temps nécessaire à l'expertise scientifique et au travail sur les mesures compensatoires pour reconstruire le débat public et politique, sur la base de ce qu'est aujourd'hui le transport aérien. Il n'y a aucune urgence à envoyer 500 CRS piétiner une zone humide.

Vous doutez de la capacité de Vinci à répondre aux réserves de la commission d'enquête ?

Ils peuvent le faire, mais ça coûterait très cher. Les informations que nous avons, c'est qu'en ce moment Vinci cherche à embaucher non pas des biologistes, mais des avocats, en prévision des contentieux qui s'annoncent. Si Vinci passe en force, c'est la négation de trente ans de protection de l'environnement et de la biodiversité dans ce pays. Pour les écologistes, c'est une ligne rouge. J'attends du premier ministre qu'il nous donne toutes les garanties.

Vous pensez que Jean-Marc Ayrault est prêt à relancer le processus de concertation ?

Jean-Marc Ayrault a construit Nantes sur le dialogue et la concertation. C'est la coproduction entre les écologistes et le PS qui a permis à la ville d'être nommée "capitale verte de l'Europe" pour l'année 2013. Cela me désole qu'on soit incapables d'avoir la même qualité de dialogue sur l'aéroport. Si le chef du gouvernement ne fait pas de proposition, peut-être est-il temps de nommer un médiateur.

Le gouvernement ne peut pas passer en force, ce serait un désastre. C'est la crédibilité de la gauche sur l'environnement qui se joue ici. Une bonne partie des gens qui vont manifester samedi a voté pour François Hollande. Le coût politique de cette affaire est totalement disproportionné.

Propos recueillis par Grégoire Allix