Ronan Dantec était rapporteur de la proposition de loi sur le droit à l'eau potable et à l'assainissement. Adoptée en commission, ce texte a été examiné le 22 février en séance publique. L'examen du texte n'a pu être mené à son terme faute de temps suffisant à l'ordre du jour. Nous avons assisté à un refus de la droite d'agir en faveur du droit à l'eau. 

Ci-dessous l'intervention de Ronan Dantec en tant que rapporteur devant le Sénat, le communiqué de presse de réaction du groupe écologiste et la dépêche AFP faisant état de ce débat.

Pour aller plus loin : en cliquant sur les liens : le rapport de Ronan Dantec et le dossier législatif  sur la proposition de loi visant à la mise en oeuvre effective du droit à l'eau potable et à l'assainissement.

 

Intervention Ronan Dantec, rapporteur de la PPL, Discussion Générale (en vidéo ici)

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Mes chers collègues,

L’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un élément vital, indissociable de la dignité humaine.

Je voudrais tout d’abord rappeler que vivre dans une société où l’accès à l’eau n’est pas permis au plus grand nombre est une grande difficulté. Il s’agit toujours d’un enjeu majeur de développement pour les pays dont une partie de la population est privée d’un accès à une eau salubre et à des installations sanitaires. Il suffit de rappeler ce chiffre alarmant : près de 700 000 enfants de moins de cinq ans meurent chaque année du fait de maladies liées à la consommation d’une eau contaminée.

En France, justement, le droit à l’eau potable et à l’assainissement est une réalité pour la grande majorité de la population, et c’est une chance. 99 % des personnes sont aujourd’hui raccordées à un réseau de distribution d’eau.

Mais certaines catégories de population n’ont toujours pas d’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans des conditions satisfaisantes :

-             il s’agit, d’une part, des personnes qui n’ont pas d’accès physique à l’eau, notamment les personnes sans‑abris ;

-             il s’agit, d’autre part, de personnes en difficulté qui ont du mal à régler leurs factures d’eau et font face à des impayés voire des coupures d’eau.

L’objet de cette proposition de loi, longuement travaillée, cela a été dit par Monsieur le Ministre, est donc de remédier à ces deux situations.

J’ai entendu, en commission, plusieurs de nos collègues exprimer des craintes quant à son contenu, notamment s’agissant des dispositions qui ont trait aux collectivités territoriales.

Ces craintes, je le dis fortement, sont totalement infondées si l’on regarde en détail les mesures que contient ce texte, au-delà de tout fantasmes et postures.

Que prévoit-il en effet ?

Premièrement, il inscrit dans la loi la reconnaissance d’un droit à l’eau potable et à l’assainissement. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas de créer ici un droit opposable, puisque la proposition de loi ne définit pas de voie de recours juridictionnel pour contraindre la puissance publique à agir. Mais il s’agit clairement d’affirmer ce droit.

Il s’agit donc simplement d’inscrire dans l’ordre juridique interne un droit qui a été reconnu au niveau international, notamment par la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies du 28 juillet 2010 dont l’adoption a été soutenue par la France. Je suis d’ailleurs un peu surpris que certains amendements remettent en cause cet engagement pris sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Le respect des engagements dans la durée des engagements internationaux de la France devant normalement être assez consensuels entre nous.

Deuxièmement, ce texte prévoit que les collectivités compétentes en matière d’eau et d’assainissement installent et entretiennent des équipements de distribution gratuite d’eau potable. Il prévoit également la mise à disposition gratuite de toilettes publiques dans les collectivités de plus de 3 500 habitants et de douches publiques dans les collectivités de plus de 15 000 habitants, afin notamment que les personnes sans‑abris puissent satisfaire leurs besoins élémentaires d’alimentation et d’hygiène.

Cette mesure est bien loin d’être aussi contraignante qu’il n’y paraît ou qu’on le dit. Le texte indique clairement que, pour se conformer à ces obligations, les collectivités pourront utiliser des équipements sanitaires existants dans des bâtiments publics, comme par exemple des centres sportifs ou des centres d’accueil, ou dans des bâtiments appartenant à des associations qu’elles subventionnent.

Pouvez‑vous me citer une commune en France qui ne dispose pas aujourd’hui d’un point d’eau pouvant être mis à disposition des personnes démunies ? Ça n’existe pas ! Je crois même que la bonne gestion de l’espace public, et je parle avec mon expérience d’élu local, amène de plus en plus de communes aujourd’hui à reconstruire des points d’eau et des sanitaires, pour améliorer justement le vivre ensemble sur l’espace public.

Cette mesure n’occasionnera donc strictement aucune dépense de construction d’installations sanitaires nouvelles pour les collectivités. Et je le redis, ce n’est pas du droit opposable. En revanche, et cela a été très bien dit par Monsieur le Ministre, les collectivités qui le souhaitent pourront s’appuyer sur les dispositions de cette proposition pour développer leur offre. On pourrait donc dire que c’est ici une loi d’incitation.

On n’évitera pas cet après-midi, je le sais, un discours convenu et systématique sur l’inflation des normes, vous allez l’entendre. J’alerte simplement ceux qui vont le dire, qu’il n’y a rien dans la loi qui tient de la norme. Donc, je ne sais pas comment cela a pu être vu dans ce texte. En fait, le débat légitime qu’on aurait pu avoir cet après-midi aurait été justement de savoir s’il ne fallait pas aller plus loin et créer un droit opposable. Ce n’est pas le cas de ce texte, mais c’était un débat légitime et cela aurait pu être le débat entre nous cet après-midi.

Le cœur de cette proposition de loi, c’est la création d’une aide préventive pour l’accès à l’eau. Là effectivement, la loi avance fortement. Aide préventive versée sous condition de ressources aux personnes qui ont des difficultés à régler leurs factures d’eau. Cette aide serait attribuée aux personnes dont les revenus sont compris entre le montant du RSA « socle » et le plafond de ressources de la CMU‑C, en intégrant les écarts de prix de l’eau selon les territoires, c’est une donnée importante également. J’insiste aussi sur un autre point qui est que cette somme sera uniquement dédiée au paiement des factures d’eau et n’ira pas dans le budget global du ménage.

Il s’agit ainsi de créer un « chèque eau », sur le modèle du « chèque énergie », actuellement en cours d’expérimentation, et qui sera généralisé au 1er janvier 2018. Donc, on ne créé évidemment pas « d’usine à gaz » puisqu’on utilisera le dispositif qu’on est en train de mettre en place pour le « chèque énergie ».

Une autre objection entendue : pourquoi créer une telle aide alors que les centres communaux d’action sociale (CCAS) et les fonds de solidarité pour le logement (FSL), gérés par les départements, accordent déjà des aides aux ménages en difficulté pour régler leurs factures d’eau ?

Justement, il s’agit de sortir d’un système où on aide, au cas par cas, les personnes à faire face à leurs impayés d’eau, comme le font actuellement les CCAS et les FSL, et de verser une aide en amont afin justement d’éviter que les personnes ne se retrouvent dans l’impossibilité de payer leurs factures. Il est donc question de mettre en place une aide « préventive » lorsque le système actuel n’est que « curatif ». Et c’est le sens de notre société de faire en sorte que ce soit bien l’État qui, sur les besoins essentiels, trouve les dispositifs et les assume.

La création d’une telle aide préventive permettra de réduire le nombre d’impayés d’eau et par conséquent le nombre de dossiers gérés par les CCAS et les FSL. Nous sommes extrêmement nombreux ici à nous alarmer de l’incapacité aujourd’hui des départements à faire face à la totalité de leurs compétences d’action sociale. Pour une fois, l’État est prêt à reprendre cette responsabilité. Nous devrions donc logiquement être nombreux, pour ne pas dire tous, enthousiastes à la reprise par l’État de cette responsabilité et charge financière. C’est autant d’argent que les départements n’auraient pas demain à dépenser. Il s’agit surtout d’une mesure de simplification, qui fera faire des économies peut-être plus importantes en gestion de dossier pour des petites sommes, que sur les 60 millions d’euros, qui est la somme généralement considérée comme étant le coût du traitement social de l’eau. C’est donc une mesure qui permet des économies fortes pour les collectivités territoriales. Je suis extrêmement surpris qu’il n’y ait pas consensus entre nous là-dessus, alors que nous sommes très nombreux à considérer que l’État fait porter la charge d’une partie des politiques publiques aux collectivités territoriales.

Cette mesure est également bénéfique pour les entreprises de distribution d’eau, et j’ai échangé avec elles, qui seront moins confrontées aux impayés de leurs clients et aux problèmes que cela pose en termes de récupération des sommes dues et de contentieux en cas de coupure d’eau.

J’en viens, pour finir, à la question du financement de cette aide. Le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) a estimé, je l’ai dit, le coût d’une telle aide entre 50 et 60 millions d’euros, à comparer avec le « chèque énergie » qui est lui de l’ordre de 600 millions d’euros.

Dans sa version initiale, la proposition de loi prévoyait la création d’une taxe additionnelle à la taxe existante sur l’eau en bouteille de 0,5 centime d’euro par litre, cela faisait globalement 1 euro par an et par consommateur d’eau en bouteille, ce n’était pas une somme considérable. Cette surtaxe a été supprimée par l’Assemblée Nationale, à l’initiative du Gouvernement et de plusieurs députés.

Désormais, il est prévu que cette aide soit financée par la taxe déjà existante sur l’eau embouteillée, sans qu’elle soit augmentée, qui est pour cela affectée au Fonds national d’aide au logement (FNAL). Il n’y a donc pas non plus de création de taxe supplémentaire. Je précise également que les fabricants d’eau en bouteille, avec lesquels j’ai aussi eu l’occasion d’échanger, ne s’opposent pas à cette mouture du texte, c’est le compromis trouvé à l’Assemblée Nationale.

Quatrièmement, et pour terminer, la proposition de loi prévoit de mobiliser les collectivités sur le suivi de la mise en œuvre du droit à l’eau potable et à l’assainissement, par l’organisation d’un débat sur les actions prévues ou menées en la matière dans les trois ans suivant les élections municipales.

Vous le voyez, mes chers collègues, cette proposition de loi répond à l’enjeu majeur de l’accès à l’eau en mettant en place un dispositif simple, peu coûteux, d’aide sociale et de simplification finalement.

Cela fait des années que la question du droit à l’eau et de la création d’une aide préventive est débattue.

Ce texte s’inscrit dans le cadre des nombreux travaux qui ont été conduits sur cette question, par des juristes, des associations, ou encore par le Conseil national de l’eau et le Conseil d’État. Il est désormais temps d’aboutir et de faire du droit à l’eau potable et à l’assainissement une réalité partagée par tous.

Telle est l’ambition de cette proposition de loi. Elle a été signée et votée par des députés de quatre groupes politiques différents, pas seulement de gauche, à l’Assemblée Nationale. J'espère donc que, cet après-midi, le Sénat, dans un même esprit constructif et transpartisan, votera en faveur de ce texte. Et je remercie dores et déjà le Gouvernement d’avoir retiré ses amendements, parce que nous avons bien compris que nous sommes en fin de session et que c’est donc un vote conforme que nous recherchons.

Je vous remercie.

 

 

Communiqué de presse du Groupe Écologiste du Sénat, 22/02/2017

La droite sénatoriale refuse d’agir en faveur du droit à l’eau


Le groupe écologiste du Sénat regrette le travail de sape de la majorité sénatoriale de droite supprimant méthodiquement les articles de la proposition de loi sur la mise en œuvre du droit à l’eau et à l’assainissement.

Pourtant, cette loi aurait pu bénéficier d’un consensus transpartisan qui avait été trouvé à l’Assemblée Nationale. Malheureusement, la volonté de faire passer les calculs politiques de court terme avant un enjeu social majeur, a guidé le choix de la majorité au Sénat, car comme l’a souligné un des orateurs du groupe Les Républicains : « en pleine campagne, ça gratifierait leurs auteurs ».

A Ronan Dantec, sénateur écologiste de Loire-Atlantique et rapporteur du texte, d’en conclure : « Nous avons assisté à un refus de la droite de répondre à cet enjeu social et sanitaire majeur qu’est le droit à l’eau. La stratégie fondamentale défendue par la majorité de droite a consisté à exonérer les collectivités qui ne prennent pas leurs responsabilités en la matière, et surtout de continuer à faire assumer cette charge par des départements financièrement exsangues »

Bien que Jean Desessard, sénateur écologiste de Paris, Président du groupe écologiste, en avait appelé « au bon sens de toutes les couleurs politiques pour adopter ce texte conforme et ainsi poursuivre cet esprit constructif au Sénat », force est de constater qu’il s’agit encore ici d’une occasion manquée par la majorité sénatoriale de faire preuve de cohérence. La remise en cause, à travers la suppression de l’article 1 par la droite sénatoriale des engagements internationaux pris par la France dans le cadre de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies du 28 juillet 2010 (sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy), afin de faire de l’accès à l’eau un droit universel, le démontre très clairement.

La discussion sur ce texte n’a pas pu aller à son terme. Même si ce texte est sorti très abimé de ce débat (5 articles supprimés) il pourra être réétudié dans une prochaine niche après les élections… et donc dans un contexte politique très différent.

 

Dépêche AFP du 22/02/2017

 

Sénat: la création d'un droit à l'eau reportée aux calendes grecques

Sénat |  environnement |  eau |  social

Paris, FRANCE | AFP | 22/02/2017 20:09 UTC+1

 
 

La création d'un droit à l'eau a été reportée aux calendes grecques, le Sénat n'ayant pas eu le temps mercredi d’achever l'examen une proposition de loi en ce sens vivement critiquée par sa majorité de droite.

La proposition de loi pourra être à nouveau inscrite à l'agenda du Sénat pour qu'il achève son examen. Toutefois aucune date ne peut être envisagée avant fin juin, le Sénat interrompant ses travaux jeudi en séance plénière en raison des élections.

Ce texte transpartisan déjà adopté à l'Assemblée et soutenu par le gouvernement était examiné dans le cadre d'une niche écologiste. Si le Sénat l'avait voté dans les mêmes termes, son adoption aurait alors été définitive.

Mais le groupe Les Républicains a déposé des amendements de suppression sur chaque article, adoptés les uns après les autres, reprochant notamment les nouvelles contraintes qu'il imposerait aux collectivités locales. Le temps accordé à la niche écologiste ayant été écoulé, le président de séance Jean-Pierre Caffet (PS) a annoncé la suspension du débat.

"Le texte n'est pas mort, on reviendra à la charge", a assuré à l'issue de la séance le rapporteur Ronan Dantec (Écologiste) en attribuant à la période électorale le refus de la droite sénatoriale.

De son côté, Philippe Madrelle (PS) a déploré "l’opposition systématique de la majorité sénatoriale qui a vidé de sa substance la proposition de loi".

Selon M. Dantec, alors que près de 99% des personnes en France sont aujourd’hui raccordées à un réseau de distribution d’eau, il reste des catégories de population qui n’ont pas accès à l’eau potable et à l’assainissement, comme les sans-abris et les personnes en difficulté qui ont du mal à régler leurs factures.

L’objet de la proposition de loi est d’agir sur ces deux fronts, à travers deux mesures phares: la mise à disposition gratuite d'équipements de distribution d’eau et d’assainissement pour les personnes qui en ont besoin et la création d’une aide préventive pour aider les personnes à faibles ressources à s'acquitter de leurs factures.

Le texte, issu de travaux menés avec la Fondation France Libertés et plusieurs associations, avait été cosigné par des députés de quatre groupes politiques différents à l’Assemblée nationale.

jlp/gd/mm